Les feux de véhicules carburent au super

  • Par Contributeur 380991
  • Publié le 04 juin 2018, mis à jour le 13 juin 2023

Peu de biens échappent à la force destructrice du feu et les véhicules en sont de parfaites victimes. Au plan national, les services d’incendie et de secours comptabilisaient en 2016, pour 300 000 sinistres, plus de 52 000 interventions pour des feux de véhicules [1].

Représentant près de 18 %, ce phénomène est donc loin d’être marginal.

 

Ce type de sinistre a été propulsé sur la scène médiatique lorsqu’éclatèrent en France les émeutes de fin 2005. Si plus de 45 000 véhicules ont été incendiés au cours de l’année sur le territoire, 10 000 ont été attribuables aux trois seules semaines d’émeute. L’IRCGN a été fortement sollicité durant cette période par l’enregistrement de plus d’une centaine de dossiers au mois de novembre. Il a dû répondre aux nombreuses demandes d’analyses de prélèvements destinées à révéler l’éventuelle présence d’un "accélérant", produit favorisant la mise à feu.

Ces actes de protestation ou de destruction gratuite ne représentent cependant pas l’unique manifestation des incendies dits « volontaires ».

Ce phénomène peut dissimuler d'autres motivations très diverses. Par exemple, un malfaiteur peut chercher à détruire par le feu le véhicule utilisé pour commettre des infractions (vol, homicide, etc.) dans le but d’éliminer tout élément de preuve ou toute trace susceptible de l’accabler. Un feu de véhicule amorcé délibérément peut également traduire une tentative de fraude à l’assurance, un règlement de compte, voire même un suicide.

 

Le laboratoire œuvrant également dans le domaine de l’investigation de sites incendiés, il peut être amené à se déplacer en équipe pluridisciplinaire sur les lieux du sinistre, comme celui de l’accident de bus survenu à Puisseguin (33) par exemple.

Investigations PTS à Puisseguin (2015)

 

Ces situations exceptionnelles très médiatisées ne doivent cependant pas occulter la gestion quotidienne de ce type de sinistre au laboratoire. L’Institut s’emploie, non seulement à analyser les prélèvements réalisés sur une scène de véhicule incendié, adressés essentiellement par les techniciens en identification criminelle (TIC), mais également à projeter des experts du domaine, à la demande des enquêteurs, dans le but de déterminer l’origine et la cause du sinistre.

 

Cet exercice n’est pas trivial. Il serait en effet réducteur de croire qu’un véhicule brûle uniquement sous l’action de l’homme. De manière générale, les véhicules constituent un système très complexe : ils disposent de toutes les ressources nécessaires pour qu’un feu éclate sans intervention d’un tiers. Une dimension technique, devant être connue de l’investigateur, s’invite donc dans la prise en compte de la problématique globale des feux de véhicules.

   

A mille lieues de la diligence tractée par les chevaux

L’un des principes de base connu de « l’expert incendie » est la notion de « triangle du feu ». Celui-ci indique qu’une combustion ne peut être amorcée sans la réunion de trois éléments indispensables : le comburant, le combustible et la source d’énergie. En matière d’incendie, le comburant est essentiellement représenté par l’oxygène de l’air, omniprésent dans notre environnement.

Concernant les deux autres côtés du triangle, un véhicule léger va réunir dans une dizaine de mètres cubes une multitude de combustibles et de sources d’énergie susceptibles d’interagir entre elles :

     - La source de combustible est constituée par les très nombreux matériaux synthétiques et plastiques (garnitures, mousses de rembourrage, revêtements, pièces de carrosserie, caoutchoucs, durites, isolants électriques et pneus), auxquels s’additionnent les fluides participant au fonctionnement de l’engin (carburant, huiles moteur et de transmission, liquides de frein, de direction assistée, lave-glaces, etc.). L’ensemble constitue un potentiel calorifique [2] considérable apte à alimenter le feu et en favoriser sa propagation.

     - Les sources d’énergie impliquent divers organes ou équipements du véhicule. D’origine électrique, thermique ou mécanique, certaines d’entre elles sont similaires à ce qu’il est possible de rencontrer dans le bâtiment. On dénombre ainsi les étincelles, résultant d’un dysfonctionnement électrique ou d’un frottement mécanique par exemple, un arc ou un court-circuit ou encore le rougeoiement d’un câble surchauffé. Plus spécifiquement, des sources directement liées au déplacement du véhicule, nommées « surfaces chaudes », vont concerner certains organes localisés particulièrement au niveau du compartiment moteur, du système de freinage, et de la ligne d’échappement.

 

Ainsi, dans un milieu relativement compact, ces fluides et matériaux combustibles côtoient une multitude de sources d’énergie potentielles. L’oxygène de l’air venant fermer ce fameux triangle du feu, tous les ingrédients sont ainsi réunis pour amorcer l’incendie. Fort heureusement pour nous, nos véhicules ne prennent pas feu à chacune de leur utilisation. Un départ de feu accidentel peut en effet avoir lieu à la condition qu’un dysfonctionnement ou un dommage, provoquant la mise en contact d’une source d’ignition et d’un matériau combustible, se produise. Réclamant des conditions particulières, les possibilités sont multiples et l’expert incendie doit y être sensible.

 

Sous la loupe de l'expert

La méthodologie de l'investigation incendie, qu'il s'agisse d’un feu de véhicule ou de bâtiment, est la même et repose sur la mise en œuvre systématique de plusieurs étapes : localiser le point d’origine du feu, puis en déterminer sa cause, et enfin démontrer sa propagation.

Pour la première étape, l’investigateur appréhende ce type de sinistre en s’appuyant sur les principes généraux régissant la prise en compte et l’examen d’une scène d’incendie. Il s’astreint ensuite à relever les traces et dommages produits par le feu sur l’intégralité du véhicule. Attention cependant à ne pas négliger son environnement. Selon les principes de thermodynamique et les propriétés physico-chimiques des matériaux, l’expert identifie, dans la mesure du possible, la plus petite zone qui constitue le point de départ du feu.

Propagation du feu

  

Une fois cette étape franchie, les investigations se poursuivent par un inventaire des sources d’énergie du véhicule capables d’amorcer un départ de feu. Selon le principe d’élimination des causes, ne sont retenues que la ou les seules sources susceptibles d’amorcer l’inflammation du premier combustible. Dans le pire des cas, aucune source d’énergie propre à l’engin n’est satisfaisante, voire la zone de départ identifiée n’en comporte pas. Il faut alors envisager que la source d’énergie a été apportée, et tenter de la matérialiser. Suspectant dans ce cas une intervention délibérée, l’allumage peut avoir été favorisé par le recours à un produit inflammable conduisant à la réalisation de prélèvements destinés au laboratoire pour analyse.

Une nouvelle contrainte s’impose alors à l’expert. Il doit composer avec l’interférence possible des matériaux synthétiques et fluides potentiellement inflammables assurant le fonctionnement de l’engin. Par exemple, dans le cas de prélèvements effectués sous le véhicule, il doit garder à l’esprit une éventuelle pollution du sol liée à la libération des fluides présents dans les différents circuits de distribution et réservoirs détruits par l’incendie.

 

Lors de sinistres ayant complètement détruit le véhicule, les investigations techniques conduites peuvent s’avérer insuffisantes pour se prononcer sur la détermination de l’origine et de la cause. Dans ce cas, l’expert peut solliciter diverses sources de renseignements pour collecter des informations tenant à la chronologie des faits (conditions d’utilisation du véhicule précédant ou accompagnant l’incendie), aux circonstances entourant le sinistre, et à l’historique d’entretien de l’engin. Il a également la possibilité de s’appuyer sur un modèle de véhicule identique lui permettant d’évaluer l’emplacement des différents dispositifs installés et leur possible implication dans la naissance et le développement du feu. L’exploitation de ces informations, rendue possible par un travail de collaboration entre l’expert et les services d’enquête, peut s’avérer précieuse pour formuler les hypothèses relatives à la cause de l’incendie.

 

L’expert doit également garder à l’esprit qu’un véhicule incendié peut constituer les vestiges d’une potentielle scène de crime. Des éléments matériels ne l’éclairant pas sur la cause du sinistre peuvent néanmoins être révélés et constituer autant d’indices susceptibles de servir les intérêts d’autres disciplines criminalistiques, et de façon globale, l’enquête.

 

Pour finir sur les chapeaux de roue

Les feux de véhicules représentent un domaine à part entière imposant à l’expert d’en maîtriser leur architecture, et de transposer les connaissances théoriques de l’incendie sur la problématique spécifique de l’investigation d’engins roulants. Devant le caractère particulier de ce type de scène, l’IRCGN intègre dans sa formation des TIC un module dédié au feu de véhicules.

Face à des engins dotés de technologies toujours plus innovantes, et à l’émergence de carburants alternatifs et de nouvelles énergies (électrique/hydrogène), les experts en investigations et analystes de l’IRCGN s’imposent une veille documentaire pour négocier ces virages technologiques… dans le respect des limitations bien sûr.

 

Notes

1 : « Les statistiques des services d’incendie et de secours » Édition 2016 – Ministère de l’Intérieur

2 : Désigne la quantité de combustible (exprimée en masse) ramenée à une unité de surface (unité : kg/m2).

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