Les diatomées et le diagnostic de la noyade

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  • Publié le 08 juin 2016, mis à jour le 13 juin 2023

En matière d'enquête judiciaire, la découverte d'une victime dans un milieu aquatique d'eau douce nécessite d'établir un diagnostic de la noyade vitale basé sur l'analyse de micro-algues appelées diatomées. Lors de la noyade, l’eau inonde l’arbre respiratoire et les derniers battements de cœur diffusent les diatomées, via la circulation sanguine, dans les organes. Leur simple présence dans l’organisme d’une victime peut suffire pour conclure à une noyade vitale en eau douce.

Entre Histoire et Sciences Médico-légales

Il y a 600 millions d’années, l’eau a constitué le berceau des premières formes de vie mais l’évolution propre de l’homme l’a conduit parfois à s’en écarter. Néanmoins, s’il demeure vital pour l’humanité, le milieu aquatique n’en constitue pas moins un danger permanent et, de tous les temps, les submersions ont été fréquentes.

La submersion vitale est d’abord une ordalie, un instrument de supplice puis un procédé d’exécution judiciaire (e.g. Noyades de Nantes au moyen du bateau à fond mobile de CARRIER) [1-2]. A la renaissance, les médecins PARE, ZACCHIAS et MORGAGNI se préoccupent de préciser les signes de la mort par submersion et ces études vont se poursuivre vers le milieu du XVIIIème siècle [2].

Quelle soit accidentelle, criminelle ou suicidaire, la noyade reste l'un des diagnostics les plus difficiles en médecine légale du fait de l’absence de signes pathognomoniques, c'est-à-dire de signes caractéristiques permettant de poser un diagnostic sans hésitation. Cette difficulté s'accroît avec la putréfaction du corps [3].

Ainsi, les enquêtes peuvent être extrêmement délicates lorsque le corps a subi une longue période de submersion (altération du cadavre, difficultés pour établir les causes du décès et les circonstances médico-légales de la mort) [4-5]. Dans le cas de la submersion vitale, les renseignements sur la mort et la localisation de la noyade peuvent être obtenus grâce à des examens complémentaires (e.g. dosages du Fer et du Strontium) ou par comparaison des particules contenues dans l’eau de submersion et dans divers organes.

Quand elle est bien conduite, la méthode des diatomées est la plus efficace pour diagnostiquer la cause, le lieu du décès voire le délai post mortem [6-7].

 

Le diagnostic de la noyade en eau douce : utilité de la méthode des diatomées

L’étymologie du mot « noyer » vient du latin necare « tuer, faire périr » qui prit en latin le sens de « faire mourir dans l’eau ». Dans les temps anciens, ce terme avait une signification de mise en mort et d’exécution. De nos jours, les mots noyade et submersion sont devenus des termes génériques pour décrire la mort survenue dans un milieu aquatique sans distinction des circonstances du décès, volontaires ou non. Le terme immersion sera, quant à lui, préférentiellement employé pour la mise à l’eau d’un cadavre.

La submersion vitale a lieu lorsque l’air atmosphérique ne peut plus pénétrer par les ouvertures naturelles d’un individu ayant la tête plongée dans un liquide quelconque [8]. Il s’agit d’un décès par hypoxie (diminution de la quantité d'oxygène distribuée par le sang aux tissus). On différenciera la submersion vitale cumulant des signes d’inhalation d’eau dans les voies aériennes et digestives et la fausse noyade d’origine réflexe, thermo-différentielle ou cardio-vasculaire.

Les constatations externes réalisées sur le corps d’un « noyé frais » permettent fréquemment de mettre en évidence une cyanose de la face, un champignon de mousse ou « spume » au  niveau de la bouche et du nez, une langue protruse (langue qui sort de la bouche), un œil de poisson, une peau ansérine (ridée) et une macération épidermique. Malheureusement ces signes ne sont pas uniquement caractéristiques d’une mort par submersion vitale. De plus, les modifications secondaires du corps dues à la putréfaction vont altérer la qualité de l’examen empêchant parfois le diagnostic de la noyade.

Les constatations internes mettent en évidence des organes congestifs et des poumons augmentés de volume gardant l’empreinte des côtes. L’estomac et les intestins peuvent contenir de l’eau du milieu de noyade. L’étude histologique du tissu pulmonaire permet l’observation d’un œdème intra-alvéolaire et d'une dilatation des espaces alvéolaires. L’eau provoque une rupture alvéo-capillaire et la présence de matériel étranger, notamment celle de micro-algues dans les parties distales des voies aériennes, sera alors un critère pathognomonique.

 

 

Les diatomées (bacillariophycées) sont des algues microscopiques unicellulaires décrites pour la première fois en 1702 par le pionnier de la microscopie, Anton VAN LEEUWENHOEK.

Elles sont photosynthétiques et possèdent une cellule renfermée dans une boite siliceuse (le frustule) composée de deux valves de silice, rigides, résistantes et délicatement ornées. On distingue les diatomées centriques à symétrie radiaire et les diatomées pennées à symétrie axiale. Les diatomées colonisent tous les types de milieux aquatiques où elles exploitent leur source de lumière.

Ainsi, une personne dont le corps est retrouvé dans un milieu aquatique peut ne pas être décédée de noyade vitale. Les causes et circonstances du décès devront être déterminées.

Suite à l’immersion, complète ou non, dans un milieu aquatique contenant des diatomées, les mouvements respiratoires vont provoquer une inhalation d’eau et de diatomées. Lors de la rupture de la membrane alvéo-capillaire, les diatomées passent dans la circulation sanguine et vont se déposer dans diverses parties du corps (poumon, rein, cerveau, foie et moelle osseuse) [9-11]. A contrario, l’absence de circulation sanguine empêchera la colonisation des tissus en cas d’immersion d’un cadavre [9].

Les techniques d’extraction des diatomées dans les tissus humains [12-15] consistent en trois types de méthodes : la digestion acide, la méthode enzymatique et l’incinération ; lesquelles doivent permettre une analyse quantitative (nombre de diatomées) et qualitative (identification spécifique). Selon LEVKOV [16], le choix de la technique d’extraction reste principalement dépendant du type de milieu aquatique (eau douce, marin, saumâtre ou boueux) mais aussi de l’état du corps [17-18].

 

Pour conclure...

La recherche et l’analyse des diatomées présentes dans les organes d’une personne découverte dans un milieu aquatique permettent d’orienter le diagnostic de la noyade. Cependant, l’examen doit être accompagné d’une étude de l’eau du milieu de découverte ou de précipitation du corps.

 

Sources

1 : BALTHAZARD, V. Précis de médecine légale. Paris : Baillière et fils, 1935, 128 p.

2 : LACASSAGNE, A. Précis de médecine légale. Paris : Masson, 1906, 891 p.

3 : PIETTE MH et DE LETTER EA. Drowning: still a difficult autopsy diagnosis. Forensic Science International, 2006; 163, p. 1-9.

4 : MYSKOWIAK J.B. Etude des communautés d'invertébrés aquatiques et de la dynamique de colonisation d'un cadavre pendant sa phase immergée en vue d'estimer le délai de submersion. Thèse de doctorat : sciences biomédicales. Paris : Université René Descartes, 2005, 400 p.

5 : SACCARDY C. Les diatomées, utilité de la recherche et limites de la méthode, enquête

auprès des instituts médico-légaux et des laboratoires – Mise en place d’un protocole d’étude.

Mémoire de Diplôme Universitaire de Criminalistique : Université René Descartes à Paris, 2012, 40 p.

6 : CASAMATTA DA et VERB RG. Algal colonization of submerged carcasses in a mid-order woodland stream. Journal of Forensic Sciences, 2000; 45, p. 1280-1285.

7 : ZIMMERMAN KA et WALLACE JR. The potential to determine a postmortem submersion interval based on algal/diatom diversity on decomposing mammalian carcasses in brackish ponds in Delaware. Journal of Forensic Sciences, 2008; 53, p. 935-941.

8 : BROUARDEL P. Etude sur la submersion. Paris : Baillière et fils, 1880, 19 p.

9 : LUDES B. et COSTE M. Diatomées et médecine légale. Paris : Tec&Doc lavoisier, 1996, 256 p.

10 : POLLANEN MS. The diagnostic value of the diatom test for drowning, II. Validity: analysis of diatoms in bone marrow and drowning medium. Journal of Forensic Sciences, 1997; 42, p. 286-290.

11 : GRUSPIER KL et POLLANEN MS. Limbs found in water: investigation using anthropological analysis and the diatom test. Forensic Science International, 2000; 112, p.1-9.

12 : DIAZ-PALMA PA, ALUCEMA A, HAYASHIDA G et Maidana NI. Development and

standardization of a microalgae test for determining deaths by drowning. Forensic Science International, 2009; 184, p. 37-41.

13 : ANDERSON GS et HOBISCHAK NR. Decomposition of carrion in the marine environment in British Columbia, Canada. International Journal of Legal Medicine, 2004; 118, p. 206-209.

14 : LUDES B, COSTE M, NORTH N, DORAY S, TRACQUI A et KINTZ P. Diatom analysis in victim's tissues as an indicator of the site of drowning. International Journal of Legal Medicine, 1999; 112, p.163-166.

15 : LUDES B, QUANTIN S, COSTE M et MANGIN P. Application of a simple enzymatic digestion method for diatom detection in the diagnosis of drowning in putrified corpses by diatom analysis. International Journal of Legal Medicine, 1994; 107, p. 37-41.

16 : KRSTIC S, DUMA A, JANEVSKA B, LEVKOV Z, NIKOLOVA K et NOVESKA M. Diatoms in forensic expertise of drowning--a Macedonian experience. Forensic Science International, 2002; 127, p. 198-203.

17 : TAKEICHI T et KITAMURA O. Detection of diatom in formalin-fixed tissue by proteinase K digestion. Forensic Science International, 2009; 190, p. 19-23.

18 : TAKEICHI T et KITAMURA O. Detection of diatom in formalin-fixed organs by enzymatic digestion. Legal Medicine (Tokyo), 2009; 11 Suppl 1, p. 348-349.

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