Le prix Joinet décerné au chef d’escadron Émilie Hatté pour sa thèse

  • Par Propos recueillis par la lieutenante Floriane Hours
  • Publié le 04 septembre 2022

Il y a des prix qui ont une saveur bien particulière, des prix qui marquent l’aboutissement de quelque chose, la fin d’un projet porté durant des années. Le Prix Joinet, décerné cette année au chef d’escadron Émilie Hatté dans la catégorie « Concepts fondamentaux du droit constitutionnel », en est le parfait exemple.

Diplômée de deux masters 2, un en criminologie, l’autre en droit public approfondi, obtenus à l’université de Paris 2, Émilie Hatté débute sa thèse, ayant pour thème "la Cour suprême au Royaume-Uni et le nouvel équilibre institutionnel" en 2011, alors qu'elle prépare en parallèle le concours d’entrée à l’École des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN) (concours qu'elle réussit sans encombre). Après deux ans de scolarité, le chef d'escadron, sort majore de son recrutement dans la dominante sécurité publique générale et prend la tête de la communauté de brigades de Thivars, en Eure-et-Loir. À la suite de son temps de commandement, elle rejoint en 2017, la Direction des personnels militaires de la gendarmerie nationale (DPMGN), à la section performance du bureau analyse et anticipation, située à la Direction générale de la gendarmerie (DGGN), à Issy-les-Moulineaux.

Profitant de sa proximité avec les nombreuses bibliothèques parisiennes et d’un emploi du temps plus fixe que sur le terrain, elle décide de relancer sa thèse. Passionnée par le droit constitutionnel (et la culture britannique), elle assure, en parallèle de son travail, des travaux dirigés de droit constitutionnel à destination d’élèves de première année de droit à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et contribue à la correction des copies du concours d’Officier de gendarmerie universitaire (OGU), option droit public. En février 2021, elle prend le grade de chef d’escadron. Trois mois plus tard, à sept mois de grossesse, elle soutient, à l’université de Paris 2, devant un jury d'experts, sa thèse sur « la Cour suprême au Royaume-Uni et le nouvel équilibre institutionnel ». Souhaitant continuer sur sa lancée, elle tente le concours de l’ES2 (Enseignement Supérieur du second degré) en octobre 2021 et le réussit. Aujourd’hui doctorante, brevetée et commandante de la compagnie de gendarmerie départementale de Mende, en Lozère, depuis le début du mois d'août 2022, elle revient sur cette thèse et sur le Prix Joinet, dont elle vient d’être honorée.

Tout d’abord félicitations pour ce prix. Pour mémoire, le Prix Joinet, anciennement Prix Varenne, récompense chaque année neuf doctorants pour leur thèse rédigée dans les domaines du droit et des sciences sociales. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

C’est une belle surprise. J’ai rédigé cette thèse parce que le sujet me tenait à cœur. Cela a nécessité un investissement de longue haleine sur mon temps personnel et des déplacements à plusieurs reprises dans les bibliothèques françaises et britanniques, à Londres, Oxford et Cambridge. Je ne m’y attendais pas. Ma récompense, c’était d’être parvenue au terme de mes travaux et d’avoir eu un échange riche pendant ma soutenance. Cette année, il y avait 242 volumes en concurrence pour le Prix Joinet.

Pourquoi avez-vous voulu faire une thèse ?

Quand j’ai étudié le droit constitutionnel en première année de droit, j’ai eu un coup de cœur pour la matière. Faire un doctorat en droit public était pour moi une évidence. J’avais en tête, à l’origine, de devenir professeur de droit constitutionnel. Quand je suis entrée à l’EOGN, je savais que c’était sans renoncer à mon parcours doctoral. Arrêter là aurait été me renier. Ne pas terminer mon doctorat m’aurait empêchée de tourner la page sur mon parcours universitaire. Par ailleurs, c’était un engagement que j’avais pris envers mon directeur de thèse [Philippe Lauvaux, NDLR] et je me devais de le tenir.

Votre travail porte sur « la Cour suprême au Royaume-Uni et le nouvel équilibre institutionnel », pourquoi avoir choisi ce sujet ?

C’est un sujet qui est venu de moi. On ne me l’a pas proposé. En 2011, quand j’ai commencé à réfléchir à un sujet de thèse, je savais que je voulais écrire sur du droit constitutionnel britannique. Je me suis alors souvenue que la Cour suprême du Royaume-Uni avait été créée en 2009. Quand je me suis renseignée et que j’ai vu que personne n’avait écrit sur le sujet, j’ai saisi l’opportunité qui se présentait à moi. Au-delà du fait qu’il s’agissait d’un sujet d’actualité, il y avait une vraie problématique sur l’intérêt de cette création. Pour vous éclairer simplement, les Law Lords, qui étaient les anciens magistrats suprêmes britanniques, étaient aussi membres de l’une des deux chambres législatives, la Chambre des Lords. De nombreuses personnes se sont posé la question d’un conflit d’intérêts et du respect ou non du principe de la séparation des pouvoirs au Royaume-Uni. C’est essentiellement sur le fondement des apparences que la Cour suprême a été créée, en mettant fin à cette double casquette. Avec ma thèse, je voulais regarder si les choses avaient fondamentalement changé. J’ai épluché dix ans de jurisprudence des Justices, c’est le nom que l’on donne aux nouveaux magistrats suprêmes, et j’ai regardé si les rapports institutionnels avaient évolué ; autrement dit, si la Cour suprême s’était un peu émancipée en prenant plus de libertés dans ses décisions de justice.

Pourquoi cet intérêt pour l’Angleterre et pour le droit anglais ?

C’est difficile à expliquer. J’ai toujours eu un attachement pour le Royaume-Uni. Au lycée, j’avais en tête d’aller vivre en Angleterre et de m’y établir. Je pense que si je n’avais pas réussi le concours officier, j'aurais lié davantage de contacts avec des universités partenaires pour m’établir professionnellement dans les deux pays, en France et au Royaume-Uni. Pour le droit anglais, ce qui est intéressant, c’est qu’il ne s’agit pas d'un droit continental. La façon de penser le droit en Angleterre n’est pas comme sur le continent. Les Britanniques sont très pragmatiques. La jurisprudence occupe chez eux une place prédominante. Les choses ne sont pas figées. Par exemple, il n’y a pas de constitution écrite. Il y a des textes fondamentaux, mais du jour au lendemain, le législateur peut revenir sur l’Habeas Corpus de 1679 s’il le veut. La constitution britannique est vraiment très particulière.

Vous avez commencé vos recherches en 2011, mais vous les avez vraiment reprises en 2017, à votre arrivée à la direction générale de la gendarmerie. Deux ans plus tard, le Brexit a bouleversé de nombreuses choses dans la structure même du Royaume-Uni. Quel a été l’impact de cet événement majeur sur votre thèse ?

Ce genre d’évolution majeure est ce que redoute toujours un doctorant. Ma première réaction a été de me dire « je n’ai pas de chance ». Mais finalement, ceci s’est révélé être une vraie opportunité, plus qu’une contrainte. Quelque part aussi, cela m’a fait dire que mon sujet était précurseur, ce qui a été salué au moment de ma soutenance. Les décisions les plus importantes que je cite dans ma thèse sont en lien avec le Brexit et ont eu lieu entre 2017 et 2019.

Par ailleurs, j’ai voulu avoir une démarche pédagogique dans mes travaux. Je ne voulais pas mener une seule et unique démonstration et prétendre avoir trouvé quelque chose. Ma thèse avait pour objectif de faire connaître le modèle constitutionnel britannique et de montrer que les rapports institutionnels au Royaume-Uni sont en réalité très complexes et subtils. Je soulève de nombreuses interrogations tout en suggérant plusieurs pistes de réflexion.

Comment la gendarmerie vous a-t-elle accompagnée dans cette thèse ?

En gendarmerie, le parcours doctoral a été créé alors que j’étais déjà bien avancée dans mes travaux. J’ai donc intégré ce parcours juste pour ma dernière année de thèse. La gendarmerie a pris en charge mes derniers frais d’inscription à l’université, ainsi que le procédé d’impression des exemplaires de thèse à remettre au jury de soutenance. Grâce à ce dispositif, en 2020, j’ai également pu solliciter auprès de ma hiérarchie 20 jours de formation pour achever ma rédaction. Le parcours autorise en effet 20 jours de formation par an dans la limite de trois années. Je suis particulièrement reconnaissante de ce que la gendarmerie a fait pour moi. Par ailleurs, ma hiérarchie et une camarade de travail étaient présentes lors de ma soutenance. Cela a beaucoup compté à mes yeux.

S’agissant du fait de mener mes travaux en parallèle de mon travail, je dois reconnaître que c’était parfois un vrai challenge. Le fait de ne pas être sur un temps opérationnel m’a permis, le soir, chez moi, de garder une continuité de pensée dans mes temps de lecture et de rédaction. Cependant, je dois reconnaître que mon rythme a été particulièrement soutenu au cours des derniers mois de rédaction, pendant lesquels j’écrivais 6 jours/7, de 21 heures à 1 heure.

Quel a été le lien entre la gendarmerie et votre travail ?

Cette thèse m’a immergée dans les relations institutionnelles. Ce qui m’a plu est d’être allée à la frontière du politique et d’étudier ces rapports institutionnels. Je pense que cela pourra m’être utile dans mes affectations futures.

La thèse m'a surtout permis d’acquérir de nouvelles compétences. On juge parfois à tort de la qualité d’un sujet de thèse alors que les compétences qu’il vous permet d’acquérir sont une vraie plus-value. Me concernant, environ 90 % de mes lectures étaient en anglais, j’ai d’ailleurs pris le soin de traduire tous les passages que je cite. Par la force des choses, on peut ainsi dire que je suis devenue bilingue en anglais juridique. J’ai également beaucoup étudié la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme pour apprécier les relations entre la Cour suprême et cette juridiction supranationale. Cela m’a permis d’acquérir des connaissances solides en matière de libertés fondamentales et d’attendus de la Cour européenne en matière de procédure pénale.

Qu’est-ce qui vous a plu dans ce travail de recherche ?

J’ai pris beaucoup de plaisir dans mes lectures et dans mes déplacements, que cela soit sur Paris ou en Angleterre. Je suis allée à la Cour suprême à Londres et j’ai échangé avec des magistrats et des assistants de justice. C’était très stimulant et humainement très enrichissant. Les activités que je menais en parallèle étaient aussi importantes à mes yeux. J’avais le sentiment d’apporter un témoignage et de passer un relais à mes étudiants, lesquels me posaient aussi beaucoup de questions sur la gendarmerie. Je pense, du moins j’espère, avoir convaincu certains d’entre eux de tenter les concours de la gendarmerie.

Avec cette thèse, vous devenez docteur en droit, qu’est-ce que cela représente pour vous ?

C’est très important pour moi. Mon insigne de docteur revêt une dimension très particulière, au-delà du fait de faire partie du réseau des chercheurs de la gendarmerie. Je dois aussi reconnaître que je ressens un profond sentiment de libération parce que j’ai enfin fini ce parcours.

C’est un projet que vous portez depuis de nombreuses années qui vient de se terminer. Vous parlez de la fin de quelque chose, mais est-ce le début d’un nouveau projet ?

Maintenant c’est un nouveau temps opérationnel avec le commandement de ma compagnie. Je vais avoir de quoi faire. Je n’oublie pas non plus le temps de maman qui est un réel plaisir. Mais c’est dans ma nature de toujours entreprendre quelque chose en parallèle. J’ai pour le moment pour idée d’apprendre la LSF, la langue des signes française.

Finalement, qu’est-ce que vous retenez de votre thèse ?

Au Royaume-Uni, les choses ont été amenées à changer essentiellement sous la pression des apparences. Nous sommes aujourd’hui dans un monde de plus en plus en prise avec la question de la transparence.
C’est peut-être une leçon à retenir dans le cadre d’un commandement. Celle que, bien sûr, on n'est pas censé tout dire à ses hommes, comprendre ici hommes au sens de militaires, mais leur dire simplement les choses. Être transparent permet bien souvent de les faire adhérer à vos projets ou à vos décisions.

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