La gendarmerie mobile et la guerre (1939-1962)
- Par Édouard Ebel
- Publié le 29 décembre 2021
Au cours du XXe siècle, forte de son expérience militaire et de son savoir-faire tactique, la gendarmerie mobile va largement être impliquée dans les conflits, de la Seconde Guerre mondiale aux épisodes des guerres de décolonisation, et ce au prix de lourdes pertes humaines.
Au XXe siècle, la gendarmerie dispose d’une expérience militaire, héritée notamment de la période révolutionnaire et du XIXe siècle. Ces missions d’un type particulier, pour une institution en partie civile et militaire, ont notamment été assurées par la gendarmerie mobile. Une instruction du 10 janvier 1929 donne à la GRM (Garde Républicaine Mobile) une place fondamentale dans l’instruction tactique et militaire, tant dans l’encadrement des troupes des autres armes que pour la mise sur pied d’unités combattantes constituées de gendarmes.
Dans un article paru en 1935 dans la Revue hebdomadaire, à la suite de la publication de son ouvrage intitulé Vers une armée de métier, le général de Gaulle, alors lieutenant-colonel dans l’armée, propose d’intégrer 15 000 GRM à l’armée professionnelle pour former un corps spécialisé. La gendarmerie mobile va largement être impliquée dans les conflits, de la Seconde Guerre mondiale aux épisodes des guerres de décolonisation.
Dans la Seconde Guerre mondiale
Pendant les huit mois de la « drôle de guerre », qui précèdent l’offensive allemande, 3 500 gendarmes sont affectés aux 150 prévôtés réparties dans la zone des armées. Des pelotons de GRM assurent l’encadrement de compagnies de frontaliers mobilisées sur la ligne Maginot et de groupes de reconnaissance de l’infanterie. La compagnie de GRM de Longeville-lès-Saint-Avold (Moselle) est engagée contre l’ennemi dans la forêt de Warndt dès septembre 1939.
La mise sur pied, au sein du groupe spécial de Satory, du 45e Bataillon de chars de combat (45e BCC) permet à dix-neuf officiers et 266 sous-officiers de gendarmerie de partir au front sous les couleurs de l’Arme. Épisode peu connu de la Seconde Guerre mondiale, les combats de Stonne, au sud de Sedan, opposent pendant dix jours le 45e BCC, une unité composée en grande partie de gendarmes, et le régiment d’élite Grossdeutschland. Pendant dix jours, les militaires du 45e BCC vont arrêter l’avancée des troupes allemandes, multipliant les offensives, les replis et les contre-offensives. Ainsi, entre le 15 et le 17 mai, le village de Stonne est pris et repris six fois. La violence des combats est terrible : des treize chars dont dispose la 2e compagnie du 45e BCC, trois seulement sont encore disponibles au soir du 23 mai. Finalement, encerclés à Saulieu, les hommes du 45e BCC sont contraints à la reddition le 17 juin 1940. Cette unité a payé un lourd tribut pour ralentir l’invasion du territoire national : en trente-sept jours de combat, elle déplore trente tués, quatre disparus et cinquante-neuf blessés.
Au moment de la libération du territoire, le chef d’escadron Fernand Daucourt constitue, le 31 août 1944, à Vichy, un groupement à partir d’escadrons du 4e régiment de la Garde. Engagée dans les opérations de la Libération, cette unité est dirigée sur Lyon au début de septembre 1944, puis sur la région parisienne à la fin de ce mois, avant de faire mouvement vers l’Est le 4 octobre. Le 20 novembre, venu avec une patrouille motorisée arrivée en même temps que des éléments de la Ve armée américaine, le garde Rouffet hisse le pavillon tricolore sur le Palais du gouverneur à Metz. Mi-décembre, le groupement fait mouvement sur Strasbourg et participe activement à la défense de la ville de Kilstett. Pendant tout le mois de janvier 1945, les escadrons de la garde renforcent les tirailleurs sur le front de Kilstett, où attaques et contre-attaques se succèdent.
Parallèlement, le chef d’escadron Gaston Thiolet prend le commandement d’un groupe d’escadrons du 2e régiment de la garde le 29 août 1944. Il participe à la libération du territoire national en collaboration avec les Forces françaises de l’intérieur (FFI) de l’Allier. Les cinq escadrons du groupement Thiolet sont engagés sans relâche dans les combats menés dans l’Allier du 29 août au 11 septembre 1944. Le 5 octobre 1944, le « bataillon des gardes mobiles » passe sous l’autorité du 2e corps d’armée du général de Montsabert, engagé dans les Vosges. Les pertes s’élèvent à trente tués et quarante blessés. Cette séquence militaire, impliquant fortement la gendarmerie mobile, se poursuit au lendemain de la libération du territoire national.
Dans les conflits de la décolonisation
Par l’intermédiaire des légions de garde républicaine de marche, la gendarmerie renoue avec les missions combattantes en Indochine. Au nombre de trois, ces légions sont levées au cours du dernier trimestre de l’année 1946 et prélevées sur les effectifs déployés en Allemagne, en Autriche, puis, en dernier recours, sur ceux de la métropole.
La 1re légion de garde républicaine de marche encadre la garde civile de Cochinchine. Elle doit mettre sur pied une force de sécurité intérieure militaire, embryon d’une future armée du Vietnam. La 1re légion est répartie dans le sud, au contact des insurgés de la zone deltaïque du Mékong. Les deux autres légions sont levées afin de combler les déficits de forces. La 2e légion est déployée autour de Saïgon. Elle assume principalement des tâches de sûreté et des missions variées, telles que l’encadrement de la gendarmerie laotienne et de l’armée royale khmère, la garde de prisonniers, l’encadrement des partisans levés par Michelin (gardes aux plantations) ou encore le service d’escorte. Enfin, la 3e légion, initialement déployée au Tonkin, est plus spécialement vouée à l’encadrement de formations autochtones. Ses missions sont sensiblement identiques à celles de la 1re légion. Elle se bat également sur les plateaux du Haut Donnai et assure l’encadrement des postes isolés. Au contact des indigènes, de simples gardes, isolés au milieu des autochtones, deviennent commandants de peloton. Cette mission d’encadrement des troupes locales et de commandement de peloton est particulièrement dangereuse. Au total, les gardes comptent 654 tués et disparus, et 1 500 blessés, ce qui permet à l’Arme d’obtenir une nouvelle inscription sur son drapeau.
En Algérie, après 1945, l’institution se compose d’une légion de gendarmerie départementale et d’une légion de gendarmerie mobile. Au début de la guerre, les effectifs sont insuffisants et les hommes restent rarement sur place, ce qui les empêche de connaître suffisamment le pays. En 1952, on compte trois légions de gendarmerie départementale, puis trois légions de gendarmerie mobile en 1956 et un groupe autonome de gendarmerie du Sahara en 1958. La gendarmerie mobile est très souvent sollicitée pour régler les questions relatives à l’ordre public. En 1954, 1 200 gardes, répartis en huit escadrons de marche, forment l’ossature du maintien de l’ordre. En 1962, on dénombre 71 escadrons sur le territoire, soit 6 819 hommes, ce qui témoigne de l’importance des tensions socio-politiques, indépendamment des opérations militaires. Employée dans le cadre classique du renfort à la gendarmerie départementale, la gendarmerie mobile participe également à des missions de sûreté au cours d’opérations de contre-guérilla. Mais surtout, l’action des gendarmes mobiles, lors des années 1960-1962, est au cœur du rétablissement de l’ordre lors des manifestations d’Algériens et d’Européens.
L’année 1960 est notamment marquée par la semaine des barricades d’Alger. S’ensuit le putsch de 1961. La gendarmerie confirme sa réputation de fidélité, à l’heure où d’autres militaires, désorientés par les incertitudes politiques, sont tentés par l’insurrection. En marge des unités classiques, à partir de juillet 1959, la gendarmerie lève également des unités supplétives, vouées à la contre-guérilla : il s’agit des fameux « commandos de chasse » de la gendarmerie, qui mènent des missions de combat. Sur le plan militaire, cette troupe parvient à éliminer 621 soldats de l’Armée de libération nationale (ALN) et à faire 331 prisonniers, au prix de 37 tués et 56 blessés dans ses rangs.
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